Première Partie : LES AÇORES
Dans la mythologie grecque, il existait dans l’Océan Atlantique un paradis terrestre semblable aux Champs Elysées ou les âmes vertueuses goûtaient un repos parfait et auquel les anciens faisaient allusion sous le nom « d’Îles Fortunées » ou « Îles des Bienheureux » (en grec ancien μακάρων νῆσοι / makárôn nêsoi). C’est de cette étymologie que vient le terme de Macaronésie qui correspond à l’ensemble des îles situées au large de l’Europe et de l’Afrique comprenant les Açores, Madère, les Canaries et le Cap Vert. Pendant longtemps, certains ont cru y voir les restes de la légendaire Atlantide. Mais au-delà de la mythologie, ces terres émergées partagent entre elles de nombreux liens historiques et culturels, une faune et une flore endémiques telles que les dragonniers ou la laurisylve et des similitudes géographiques qui en font, malgré la distance qui les séparent, un ensemble cohérent. Dans le monde du vin, la plus significative de ces îles du point de vue de sa production est sans conteste celle de Madère tant par la notoriété et que par la qualité et la singularité de ses vins qui feront l’objet d’un article a part entière dans le futur. Mais aujourd’hui, je voudrais vous présenter les productions plus méconnues d’un autre archipel de ces « Îles Fortunées » : les Açores.
Le feu et l'eau
D’un point de vue géologique, les archipels des Açores et des Canaries partagent une origine commune puisqu’ils sont tous les deux situés sur des points chauds de l’écorce terrestre où le manteau magmatique arrive à remonter vers la surface donnant lieu à une intense activité volcanique. Le dernier épisode aux Açores remonte à 1957 et comme les statistiques font état d’une éruption tous les 50 ans environ, on peut s’attendre à un regain d’activité dans le futur proche [2]. Le volcanisme y est donc toujours très actif et continue de modeler la géologie de ces îles. S’il est très délicat d’établir une nomenclature précise des sols volcaniques plantés en vigne tant ils sont variés dans leur composition et leur structure, ils possèdent tout de même plusieurs points communs. Ce sont généralement des sols pauvres en matière organique mais riche en minéraux et très drainants : des caractéristiques communément admises comme qualitatives en viticulture.
Par ailleurs, Açores et Canaries sont situés sur la route du même courant marin froid, le courant des Canaries, qui favorise la remontée des eaux profondes à la surface enrichissant la vie marine des deux archipels tout en rafraichissant leur climat. Les températures moyennes dans les îles oscillent entre 16 et 25° toute l’année et contrairement au continent, les fortes chaleurs (> 30-32°) y sont rares. Ces paramètres favorisent la viticulture et la production de vins moins riches et alcoolisés que ces latitudes ne pourraient le suggérer avec des degrés variants généralement entre 11.5 et 13.5%. Par ailleurs, l’isolement de ces territoires a favorisé l’utilisation de variétés locales plutôt que de cépages internationaux tout en protégeant en partie ces vignobles insulaires de certains pathogènes (le phylloxéra est absent aux Canaries). Enfin, les contraintes spécifiques au climat et au terroir de ces îles ont donné naissance à des modes de culture uniques au monde à commencer par celui des Açores.
Une viticulture héroïque
Situé entre 36 et 38° de latitude Nord soit par le travers de Lisbonne ou du New Jersey, l’archipel des Açores se trouve en plein milieu de l’Atlantique à 1500km des côtes marocaines et à près de 2000km de celles de Terre-Neuve. Il tient son nom et son emblème d’un petit rapace, l’autour des palombes (açore en portugais), et comprend neuf îles réparties en trois groupes : le groupe oriental avec São Miguel et Santa Maria, le groupe central avec Faial, Pico, São Jorge, Graciosa et Terceira et le groupe occidental avec Corvo et Flores. Les vignobles sont concentrés dans le groupe central principalement à Pico et Terceira sur les fameux lajidos ou biscoitos (voir ci-après), sur des cendres volcaniques dans l’île de Faial et des sols plus décomposés sur l’île de Graciosa dont le vignoble a durement souffert de la dévastation du phylloxéra. Le climat océanique de l’archipel est doux avec peu d’amplitude thermique et le célèbre anticyclone le protège contre les fortes dépressions tout au long de l’année. Par contre, les vents d’Ouest apportent une humidité élevée et des pluies régulières qui mettent constamment les producteurs sous la pression du mildiou et de l’oïdium.
"Une beauté exceptionnelle, témoignage du travail de générations de paysans dans un milieu hostile." UNESCO, 2004
Cœur de la viticulture Açoréenne, l’île de Pico est dominée par le Ponta do Pico, qui culmine à 2351m. Le volcan fait obstacle aux nuages qui déversent jusqu’à 5000mm de précipitations à son sommet contre seulement 1000mmm en bord de mer. C’est pour cette raison que toutes les vignes sont concentrées sur le littoral entre 0 et 300m d’altitude : « là où les crabes chantent » comme dit un proverbe local. Mais non seulement cette proximité de l’océan expose la vigne aux embruns, elle force aussi les vignerons à planter sur le sol inhospitalier du bord de mer : des nappes d’une croûte lavique épaisse et dure comme le béton : les lajidos ou biscoitos. Pour arriver à planter dans ce terrain particulièrement difficile, les pionniers de Pico ont dû creuser la lave au pic et à la masse afin d’arriver à trouver un peu de terre meuble à 60-80cm de profondeur pour planter les ceps. Les pierres extraites étaient réutilisées pour bâtir des murets de protection contre les brises marines donnant naissance à l’un des paysages viticoles les plus singuliers du monde : les currais ou curraletas (d’après curral, « corail » en portugais) en référence aux formes arborescentes de ces kilomètres de murs de basalte. Chaque vigne est ceinte d’un mur extérieur et divisée en plusieurs currais rectangulaires séparés par des traveses (voir figure). Le nombre de ceps dans chaque curral dépend de la richesse du sol mais sur ces terrains extrêmement pauvres, la densité dépasse rarement les 1500 pieds à l’hectare. Par ailleurs, le basalte garde la chaleur et irradie les vignes à la nuit tombée favorisant ainsi la maturation des baies dans ce climat souvent frais. Inutile de préciser que tout le travail se fait manuellement et au ras du sol pour protéger les vignes du vent. Façonné par cette viticulture héroïque, le paysage de l’île est inscrit depuis 2004 au patrimoine mondial de l’UNESCO pour sa « beauté exceptionnelle, témoignage du travail de générations de paysans dans un milieu hostile » [3]. Les plus vignes de la zone historique de Criação Velha sont centenaires.
Faial, renaissance d'un vignoble
Le 23 Septembre 1957, des pêcheurs de Faial racontèrent que l’océan s’était mis à bouillir près de la côte Nord de l’île et quelques jours plus tard, une colonne de cendres de plusieurs kilomètres de hauteur commença à s’élever forçant l’évacuation des habitants. L’éruption qui s’en suivit durant pendant plus d’un an recouvrit une partie du village et le seul vignoble de l’île. Quand les cendres retombèrent, un nouveau volcan avait émergé : le Vulcão dos Capelinhos. En 2008, Gianni Mancassola et Cinzia Caiazzo rachètent une propriété dans le village et apprennent l’existence du vignoble historique englouti sous la cendre basaltique de leur terrain. Dès lors, ils choisissent de replanter une parcelle de vignes sur le nouveau terroir du volcan pour tenter de recréer le vignoble disparu. En 2017, 60 ans après l’éruption, Adega do Vulcão lance son premier millésime d’Ameixâmbar (« roche ambrée ») issu des vignes de Capelinhos marquant le renouveau de la viticulture dans l’île.
Cépages & appellations
La dénomination IGP Açores inclut tous les vins produits dans l’archipel qui possède également 3 appellations spécifiques en DO créées en 1994 : Pico, Biscoitos (sur l’île de Terceira) et Graciosa. Si 33 cépages sont autorisés dans l’IGP, les variétés emblématiques de l’archipel sont trois cépages blancs : l’Arinto dos Açores, le Verdelho et le Terrantez do Pico. La très grande majorité de la production est constituée de vins blancs avec quelques rares exemples de vins rouges et rosés. Il existe aussi une petite production de vins liquoreux de passerillage et de vins mutés.
Arinto dos Açores
Distinct du cépage blanc du même nom planté sur le continent, l’Arinto des Açores est probablement un croisement de Verdelho avec une autre variété encore non déterminée. A la dégustation, ce cépage présente une palette aromatique allant des notes florales aux agrumes en passant les fruits verts (melon d’eau, papaye) avec des nuances de kiwi ou de pêche pour les plus complexes et une acidité aiguisée.
Verdelho
La même variété que le Verdelho de Madère, un cépage issu à l’origine du Savagnin et qui s’exprime sur une dominante des notes citronnées avec une acidité très marquée.
Terrantez do Pico
Un croisement de Verdelho avec un autre cépage (peut être le Trousseau ?), très rare aujourd’hui et généralement assemblé avec les deux autres. [4] [5]
Saborinho
La production de vin rouge est anecdotique aux Açores avec quelques hectares de variétés internationales et un cépage local : le Saborinho, nom local du Negramoll des Canaries aussi appelé Tinta Negra Mole à Madère. Bien adapté aux conditions océaniques, ce cépage produit des vins assez peu colorés, à l’acidité vive et aux arômes de petits fruits rouges acidulés.
Le goût des Açores
Le caractère des vins blancs des Açores est marqué tant par la douceur du climat et les influences marines que par le terroir volcanique. La plupart des cuvées sont fermentées et élevées en cuves inox avec des levures sélectionnées mais les meilleurs exemples sont généralement issus du travail des levures indigènes avec des élevages sur lies assez long. Si l’Arinto des Açores et le Verdelho s’expriment sur des notes d’agrumes et de fruits verts ou jaunes, les vins sont toujours ciselés par une acidité aiguisée. Sur ces terres battues par les embruns, l’eau de mer s’infiltre dans les fissures de la roche et se mélange dans le sous-sol au ruissellement des pluies. En se frayant un chemin dans les fractures du basalte, les racines viennent y puiser l’eau dont elles ont besoin, une eau légèrement saline et très minéralisée. Dans ces conditions, il est intuitif d’attribuer les accents salins et la minéralité un peu cendrée des vins à ce terroir à la fois très volcanique et résolument maritime. Forgés par le feu et l’eau, les vins des Açores sont des crus au caractère bien trempé, des blancs atlantiques chargés de toute la fraîcheur et l’énergie de l’océan qui offrent une expérience de dégustation unique en même temps qu’une véritable invitation au voyage…
Adega do Vulcão / IG Açores Ameixâmbar Colheita Seleccionada 2020
La robe d’un blond vénitien dévoile un nez intense et mûr d’orange amère, d’abricot et d’amande avec une note de pierre à fusil. Le palais est doté d’une belle concentration, avec une touche légèrement phénolique et une bonne longueur en finale. Très belle complexité. Cet assemblage de Faial (Capelinhos) et Pico composé de 90% d’Arinto dos Acores et de 10% de Terrantez do Pico est vinifié en levure indigènes et sur lies dans des cuves en ciment pendant 11 mois. 13%
Adega do Vulcão / DO Pico Terra Brum Vinhas Velhas 2018
Paille pâle. Nez subtilement soufré mêlé de notes de fruits verts (papaye) et d’accents floraux (acacia). Vinifié en levures indigènes et élevé sur lies dans un œuf en ciment pendant 10 mois, cette parcelle de vieilles vignes de 60 ans offre un palais assez riche et salin, d’une belle concentration équilibrée par la fraicheur typique de Pico et doté d’une longue finale sur le kiwi et les notes marines. 13.5%
Adega do Vulcão / DO Pico Pe do Monte Reserva 2020
D’une couleur de paille, cette cuvée issue de vieilles vignes de 80 ans situées dans la zone historique de Criação Velha offre à la dégustation des parfums floraux (magnolia) mêlés de notes fruitées de kiwi jaune et de papaye. La bouche est plus tendue et plus verticale qu’Ameixâmbar, légèrement tannique et structurée par une acidité fraîche. Dotée d’une longue finale saline rehaussée d’une subtile nuance de soufre, ce grand blanc des Açores a produit 1596 bouteilles du millésime 2020, vinifié en cuves ciment sur lies pendant 11 mois et fermenté uniquement en levures indigènes comme tous les vins du domaine. 13.5%
Cooperativa Vitivinicola da Ilha do Pico / DO Pico Frei Gigante 2018
Robe de paille pâle, nez frais assez citrique et discrets accents tropicaux. La bouche est tendue par une acidité nerveuse et une finale légèrement saline. Assez simple et d’une finale un peu courte cet assemblage des 3 variétés est vinifié pendant 6 mois en cuves inox à basse température. 12%
Cooperativa Vitivinicola da Ilha do Pico / DO Pico Terroir Vulcânico Verdelho 2018
Citronné pale. Nez frais sur le zest de citron et la carambole, ce pur Verdelho élevé sur lies pendant 6 mois en cuves inox (80%) et en foudres (20%) propose une intensité aromatique intéressante et une texture plus souple que le précédent. L’acidité est toujours bien nette avec des notes iodées et fumées dans une finale de persistance moyenne. 13%
Azores Wines Company / DO Pico Arinto dos Acores 2019
La robe citronnée révèle un nez typique de Pico mêlant des notes fumées à des arômes d’agrumes (kumquat) et de fruits verts (kiwi) préservés par une vinification en cuves inox pendant 6 mois. La bouche est très fraiche, aiguisée par une acidité élevée et dotée d’une belle longueur iodée en fin de bouche. 12%
Références
[1] Pindare, Olympiques, II - Ant. 4, Traduction : Faustin Colin
[2] Volcanic Wines, John Szabo MS, 2016, Jacqui Small LLP
[3] Landscape of the Pico Island Vineyard Culture, 2004, UNESCO, https://whc.unesco.org/en/list/1117
[4] The volcanic wines of the Azores, Jancis Robinson, 25 Jan 2018, https://www.jancisrobinson.com/articles/the-volcanic-wines-of-the-azores
[5] Wine Grapes, Jancis Robinson MW / Julia Harding MW / Dr José Vouillamoz, 2012, Allen Lane (Penguin)
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